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20 décembre 2011 2 20 /12 /décembre /2011 13:28

 

 

La brave démocratie française a fièrement aboli la bascule à charlot, mais pas la peine de mort lente, la destruction délibérée du taulard.

 

Trente ans après la prétendue abolition de la peine de mort, l'administration pénitentiaire garde toujours un droit de vie et de mort sur les prisonniers. L'Envolée, journal critique du système carcéral et judiciaire, dénonce l'obscénité d'une telle célébration *.

 

Zélium : Que représente pour vous la date du 9 octobre 1981, celle de l'abolition de la peine de mort ?

L'Envolée : Pour nous, le 9 octobre 1981, ce n'est pas la peine de mort qui a été abolie, mais seulement la guillotine. La fin de son usage sert surtout de symbole à ceux qui veulent croire au temps révolu de la barbarie. Mais le processus d'élimination est resté le même. Sauf que la guillotine a été remplacée par des peines de plus en plus nombreuses, de plus en plus longues et qui vont bien des fois jusqu'à la mort. On n'arrête pas de le dire. En 2009, suite à l’évasion de Christophe Khider et Omar Top el Hadj, plusieurs collectifs anticarcéraux ont lancé une campagne pour dénoncer la mort lente en prison, les longues peines et les quartiers d’isolement (QI), dont on peut dire, sans la moindre ambiguïté, qu'ils sont la continuité des quartiers de haute sécurité (QHS) supposés abolis eux aussi en 1981.

Mais rares sont ceux qui font entendre un point de vue différent de celui du pouvoir, ce mélange de cynisme et d’humanisme dégoulinant de bonnes intentions. Malheureusement, nous ne faisons entendre qu'une toute petite voix face à la surconsommation médiatique de ce discours lénifiant.

 

À remettre en cause la « Saint-Badinter », vous allez passer pour des pro-peine de mort...

Il est bien évident que nous sommes contre la peine de mort. On ne peut qu’approuver l’objectif que la peine de mort n'existe plus nulle part, mais on est en droit de s’interroger sur certains effets de ce combat. Il est de bon ton de dénoncer la barbarie des pays qui maintiennent la peine de mort, et par exemple récemment les médias en ont fait des tonnes sur l'exécution d'un condamné au Texas. Mais tout cela sert à masquer la réalité profonde de la prison : une réalité de destruction, d'élimination et donc de mort. En 1972, Michel Foucault écrivait déjà « Tout le système pénal est au fond orienté vers la mort et régi par elle. La prison n'est pas l'alternative à la mort, elle porte la mort avec elle. » Si l’on parle de barbarie, elle existe toujours en France.

 

n7 Caza PrisonTue

 

Et qu'en disent les prisonniers, qui sont les premiers concernés ?

Autant en 2001, à l'occasion du 20e anniversaire, des prisonniers avaient dénoncé cette mascarade, autant cette fois-ci on n'a eu vent d'aucune démarche collective et on n'a reçu aucun courrier. (Hé Hô là! C'est faire peu de cas des courriers que nous vous avons postés et des nomvreux billets que nous avons rédigés sur ce même thème....Héhéhéhé!  NDR de N.I)

On a bien sûr regretté que derrière les murs, personne n'ait profité de cet anniversaire pour dénoncer le fait qu'aujourd'hui encore on enferme à mort. Même si ce n'est pas dans nos habitudes, on s'est quand même autorisé à en faire la Une. À L'Envolée, on a pour principe de transmettre les écrits et les paroles des prisonniers et à partir de ces témoignages, de développer une certaine analyse des choses et de les situer dans un contexte qui est en fait éminemment politique. Il ne s'agit absolument pas de se mettre à parler en leur nom ou à leur place. Du coup, on a notamment repris l'histoire de Pierre-Just Marny, qui a passé 48 ans de sa vie derrière les murs et qui en est mort très récemment, ou encore celle de Laurent Orsini, qui lui s'est vu refuser le droit de mourir, pour rappeler qu'enfermer, c'est toujours s'octroyer le droit de vie et de mort d'un prisonnier.

Et puis, il faut rappeler aussi qu'en 2006, dix prisonniers de Clairvaux condamnés à de longues peines avaient bravé les interdictions et les lois pénitentiaires pour lancer un appel désespéré et demander le rétablissement de la peine de mort pour eux-mêmes, et ainsi ne plus avoir à subir la mort lente de l'enfermement. Le Garde des Sceaux de l'époque s'était empressé de tourner cela en dérision, mais cet appel avait eu l'extraordinaire mérite d'exister et il avait suscité de nombreux commentaires. Il devrait en quelque sorte être répété tous les jours, parce qu'il est toujours légitime et d'actualité et qu'il correspond à ce que vivent continuellement un nombre important de personnes enfermées.

 

D'autant que la situation des prisonniers ne fait qu'empirer...

Exactement. Si on passe rapidement en revue ces dix dernières années, on voit que tout s'inscrit dans la logique du punir plus et de l’enfermer plus, avec toujours le même cynisme et la même stratégie de récupération du moindre fait-divers pour instaurer nouvelles lois sur nouvelles lois, mesures répressives sur mesures répressives. En dix ans, tout le dispositif carcéral a été revu à la hausse, avec bien sûr en première ligne la construction de nouvelles prisons. Évidemment, l'argument mis en avant de lutte contre la surpopulation carcérale ne tient pas : il s’agit en fait d’enfermer toujours plus. Quant au soi-disant discours humaniste d'amélioration des conditions d'enfermement, on s'aperçoit qu'elles sont en réalité de moins en moins humaines, avec une restriction maximale des contacts entre les prisonniers, mais également avec les matons. On a reçu un courrier d'un prisonnier transféré dans un de ces nouveaux établissements high-tech très sécurisés qui regrettait les cafards de son ancienne cellule, parce qu'au moins c'était de la vie.

 

Et parallèlement, on a eu une avalanche de nouvelles lois de plus en plus répressives...

Et ça commence en bas de l'échelle par la création de nouveaux délits. Ensuite il y a tout un tas de délits qui avant n’étaient pas sanctionnés par une peine d’emprisonnement et qui le deviennent. Ça concerne bien sûr certains délits routiers, mais il y a plein d'autres exemples, plus ou moins connus, mais tout aussi significatifs. Par exemple, l'évasion. Avant, le système judiciaire français considérait qu'il y avait comme une sorte de droit à l'évasion, qu’il était en quelque sorte légitime qu'un prisonnier cherche à s'évader. Désormais toute tentative est sanctionnée par une peine d'emprisonnement.

 

Vous évoquiez aussi un allongement des peines pour parachever le tout ?

Avant, une peine de 20 ans, c'était quelque chose d'exceptionnel, considéré comme une peine maximale. Maintenant, c'est devenu une sorte de normalité qui ne choque plus personne. Mais prenons le temps de réfléchir à ce que ça signifie : une peine de 20 ans, c'est une peine d'élimination. Qu'on ne vienne pas, après, parler de réinsertion... Et là, on constate que quelqu'un qui en 2001 aurait pris 20 ans pour un crime, va aujourd'hui en manger pour 30, 35 ans, avec des périodes de sûreté de plus en plus importantes. Quant à la rétention de sûreté, c'est vraiment quelque chose d'extraordinaire. Il suffit qu'un collège d'experts déclarent qu'une personne est supposée trop dangereuse pour qu'au lieu d'être libérée, elle reparte pour deux ans d'emprisonnement, renouvelables à l'infini. Non seulement, ça donne la possibilité de continuer d'enfermer des gens sur la seule base de délits virtuels, puisqu'ils ont déjà purgé la peine pour les délits commis, mais ça permet aussi de se rapprocher tranquillement de la perpétuité réelle. Avant on condamnait à mort, aujourd’hui on enferme à mort.

 

Quand on parle de la mort en prison, on peut difficilement faire abstraction de la problématique du suicide…

Déjà, il faut savoir que pour nous il n'y a pas de suicides en prison, parce que c'est la prison qui détruit, c'est la prison qui tue. Il y a toujours eu une grande opacité de l'administration autour des suicides ou morts suspectes en prison. Il est difficile de les comptabiliser précisément, parce qu'on est tributaire des informations que laisse passer l'administration : elle ne communique qu’un chiffre global, qui ne peut donc être étayé par des informations précises. Celles-ci ne parviennent que rarement à sortir. Évidemment, ça ne tient pas compte non-plus de ceux qui mettent fin à leurs jours parmi les proches et les familles des prisonniers. Que ces personnes, elles aussi, soient durement éprouvées par la prison reste une réalité peu connue.

On sait très bien que les chiffres officiels des suicides en prison sont sous-évalués. Reste qu'en 2009, l'administration a été obligée de reconnaître 122 suicides ou, pour le dire autrement, elle n'a pas pu ne pas les reconnaître. Avec ce chiffre, la France s'est retrouvée avec le taux de suicide en prison le plus élevé de l'Europe des quinze. Et ça, c'est devenu inacceptable. Non pas pour ce que ça révèle de la manière globale dont sont traités les prisonniers mais pour le fait que la France soit montrée du doigt par l'Europe, c'est ça qui est devenu inacceptable.

 

Ce qui explique que les pouvoirs publics se sont empressés de s'emparer du sujet avec la mise en place d'un magnifique programme de prévention qui a dû profondément vous réjouir...

Les mesurettes mises en place par Alliot-Marie étaient toutes plus grotesques et indécentes les unes que les autres. Des choses aussi atterrantes que la mise à disposition de parfum avant les parloirs pour que le prisonnier sente bon quand il retrouve sa femme, ou encore la distribution de kit de sécurité comprenant entre autres un pyjama en papier anti-suicide, avec lequel d'ailleurs plusieurs prisonniers ont réussi depuis à se pendre. C'est toujours la même stratégie, la même supercherie qui est utilisée, pour faire croire que la France fait de gros efforts, que ce soit en matière de lutte contre le suicide ou de réinsertion. On fait de la com' en mettant en avant des actions bidon qui font office de cache-misère. Et ça marche.

 

Propos recueillis par Linda Maziz

 

* Dossier du n°31 (septembre 2011).
 

 



Contact : L'Envolée, 43, rue de Stalingrad, 93100 Montreuil.

Radio : les vendredis sur FPP (106.3 FM) de 19 à 20h30.

Web : http://lejournalenvolee.free.fr
 

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commentaires

G
<br /> Il est encore étonnant qu'on n'entende pas le mot "privatisation" de la prison en France, car d'après ce témoignage, la France rejoint gentiment la politique carcérale des USA pour enfermer<br /> n'importe quel délit, du moment que ça rapporte! <br /> <br /> <br /> Il faut savoir que les prisons des USA sont construites en plein désert et que les taulards sont là pour nettoyer les rares routes alentour et que l'on peut trouver des gogues très propres, avec<br /> PQ au milieu de rien. La voirie est ainsi économisée!<br /> <br /> <br /> Perso, si je suis enfermée indéternam, j'aimerais qu'on me laisse le seul choix de vivre ou non. De toute façon, la victime y trouve-t-elle son compte?!<br /> <br /> <br /> Gene<br />
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